Hida Seï Mi Ki, bushi du clan du crabe, seigneur!

Un palais japonais aux couleurs bleutées, une gigantesque muraille, une armée en ébullition. Un groupe de samourais arrive au galop et entre dans la bâtisse.
Une femme et deux hommes, lourdement harnachés, mais visiblement très résistants.
Un couloir, deux gardes s'écartent, la jeune femme entre la première dans l'immense salle.
Quelques hommes en armure, figés, arme en main, adossés au mur. Au sol, un long tapis aux couleurs marines. Au centre, un crabe plus clair, le symbole d'un clan de guerriers, forts et unis.
Au fond de cette salle, un trône, sur lequel est assis un grand homme bien bâti, d'une quarantaine d'années. Son armure étincelle, il se lève à l'arrivée de la jeune femme. Son regard dur se radoucit. Il murmure:

-Seï Mi Ki, j'avais tellement peur...

La jeune femme sourit et répond tout aussi doucement

-Je suis plus solide que vous ne le croyez, Seigneur.
-Bien, et comment vont-ils?
-Très bien, je vous rassure.

Les deux hommes accompagnant Seï Mi Ki se présentent à leur tour. Le Daymio les réunit tous les trois, reprend un air et un ton sérieux.
-Samourais, j'ai grand besoin de vous. L'ombre s'agrandit derrière le mur. Une troupe d'onis s'apprête à tenter quelque chose, mais nous n'avons pas beaucoup d'informations. Nous savons qu'il s'agit là d'une action de grande envergure et l'on craint pour ma vie, et pour la tienne, Seï Mi Ki. S'ils apprenaient que nous allons nous marier et que tu portes mes enfants, ils te tueraient.
-Je le sais, Seigneur.
-Mais je n'ai pas le choix, je manque de monde. Pars avec eux. Messieurs, je vous charge de la protéger. S'il lui arrivait quoi que ce soit...
-Bien, Seigneur. Nous donnerons notre vie pour elle si cela s'avère utile.
-... ...Je sais me défendre toute seule, et je n'ai même pas encore de ventre...
-NE DISCUTE PAS!!!
-Bien, Seigneur...
-Parfait, allez au plus vite. D'après ce que je sais, ils se cacheraient près des collines noires.
Bien, Seigneur.
-Allez, maintenant.
A ces mots, les trois compagnons se mettent en route. Ils descendent dans un souterrain qui traverse la muraille et rejoignent l'autre coté, appelé l'Outre-Monde. Un endroit peuplés d'onis, de démons, de créatures méprisables.
Ils traversent des plaines d'herbes mortes, une forêt si sombre que les ombres n'existent pas. Durant des jours ils ont marché pour rejoindre les collines noires, veillant sur leurs sorts jours et nuits. Les onis sont partout, si différents, fourbes et malveillants...
Le ciel est terne, les nuages épais, tout semble mort.
Pourtant, au sommet d'une colline, on entend des bruits. Un tumulus d'où sort une petite fumée.
Les trois compagnons se regardent, l'air inquiet, et commencent à s'avancer doucement, sans bruit. La jeune femme prend la tête et observe l'entrée du tumulus. Puis elle fait signe à ses compagnons que la voix est libre.
Ils se précipitent vers elle, courbés, afin de ne pas se faire remarquer.
Seï Mi Ki avance...le sol descend en pente douce...il fait humide, la terre est boueuse...des traces...devant...
Le katana est sorti de son fourreau dans le silence le plus total. Les deux hommes font de même. Pas très loin, une torche brûle.

La lumière vacille, la fumée gêne un peu...le passage est étroit. Bientôt, un carrefour. Seï Mi Ki regarde à gauche, puis à droite, et s'engouffre en face, effectuant de petits pas rapides. Se retournant vers ses amis, elle leur fait signe d'avancer. Le couloir continue sa descente vers l'inconnu et l'obscurité.
Quand brusquement, une créature aux longues griffes tranchantes comme des rasoirs tente de fendre la jeune femme, qui, surprise, mais instinctive, repousse l'assaut d'un grand coup de katana qui tranche l'une des pattes de la bête.
Elle crie, se débat, et décide que son adversaire ne passera pas la nuit.
Sans un bruit, une main attrape le cou du démon, et un katana s'enfonce dans son torse, effectuant un petit bruit mouillé. L'arme tranche les chairs vers le bas...la créature convulse, la main de la jeune femme se recouvre d'un liquide chaud, épais et puant.
La laissant choir, elle utilise son kimono pour nettoyer le prolongement de son bras, maintenant disposé à éclaircir les rangs démoniaques.
Les samourais s'avancent toujours, éclairés par quelques torches disposées çà et là.
Le couloir s'élargit bientôt pour laisser place à une rangée d'onis, bâtis comme des vampires, dans une salle circulaire éclairée par quelques pierres bleutées. Ils fixent leurs proies, le sourire aux lèvres. Leur nombre? Environ 30, disposés sur trois lignes. Le combat sera rude.
Seï Mi Ki décide de rester, quoi qu'il puisse advenir. De toutes manières, derrière eux arrivent des renforts aux longues canines.
La jeune femme se met à hurler, levant son katana, et chargeant tout ce qu'elle peut. Ses compagnons font de même.Le sang ennemi éclabousse visages, armes et armures. La jeune femme semble gagner en courage grâce à la présence de ses compagnons. Ses coups sont rapides et précis. Un tour sur elle-même et deux têtes sont tranchées. Puis un coup démoniaque vient lui lacérer le torse, mais elle encaisse avec énergie et hargne.

-LE CRABE NE FAILLIRA PAAAAAS!!!

La moitié des vampires est tombée. Pourtant, au fond de la salle, dissimulée sous une lourde cape, une créature incante. L'âme de la jeune samourai semble s'échapper en une lueur pâle, et s'engouffre sous la capuche de la chose. Les deux hommes subissent le même sort. Peu après, une autre lueur, plus noire, se dirige vers les corps, se sépare et les intègre tous les trois.
A leur réveil, plus d'onis, les torches sont éteintes. Les samourais se relèvent, un peu perdus. Seï Mi Ki s'exclame

-Que...que nous ont-ils fait? Je me sens...si...étrange.
-...Moi aussi.
-Pareil...je comprends pas. Il faut rentrer...

Ils se mettent en route vers le palais. Quelques temps plus tard, après un voyage sans encombres, ils rejoignent leur daymio.

-Cela s'est-il bien passé?
-Seigneur, je ne sais pas, c'est si étrange...Nous avons rencontré des créatures...un peu comme des vampires...ils nous ont fait quelque chose, mais nous ne savons pas quoi...

Le grand homme semble inquiet.
-Allez voir Kyo, c'est un excellent shugenja. Il saura vous dire quelle magie vous ensorcelle. Allez-y vite, ne prenez pas de risques, n'attendez pas...

Aussitôt ils traversent les couloirs du palais dans la hâte et l'inquiétude. Tremblant devant le vieux sage au dos voûté, les samourais attendent impatiemment ses conclusions.
Kyo les regarde droit dans les yeux, sans rien faire, sans rien dire, puis soudain, il prend un air attristé...

-Je suis désolé, vous êtes corrompus...

Les trois compagnons furent bannis de leur clan, à jamais déshonorés. Faisant route vers la forêt d'ébène, ils décidèrent de se donner la mort...Mais ils ressuscitèrent, encore et encore, déshonorés mais vivants.
Les humains pour qui ils ont risqué leurs vies les ont chassés sans chercher à comprendre, sans chercher à savoir, sans tenter de les sauver.

Je suis Seï Mi Ki Hida, samourai du clan du crabe, pour vous servir, Laskov san...

La nuit tombe. Seï Mi Ki s'endort et gagne l'Outre-Monde. Un paysage flou qui se dessine...une forêt, pas loin. A sa gauche, un jeune homme en larmes. A sa gauche, un homme plus âgé, visiblement dépité.
Tous les trois avancent d'un pas rapide et cadencé vers l'horizon bouché par les arbres.

Le voyage se fait en silence jusqu'à la forêt. Là-bas, ils trouvent un endroit où s'asseoir, un endroit beau et paisible, où ils pourront finir leur vie.
Ils se regardent. Seï Mi Ki allume une pipe et la propose aux deux hommes, qui acceptent.
Elle prend une profonde inspiration, puis expire lentement...ses lèvres tremblent et ses yeux sont humides.

-Il est temps d'effacer la honte...et je serai la dernière...
-Non, Seï Mi Ki.
-Si, c'est ainsi, ne discute pas.

Le jeune homme s'approche et dégaine un wakizashi. Les mains tremblantes, il le fait pénétrer dans ses chairs abdominales et retient un cri. Aussitôt Seï Mi Ki lève son sabre et lui tranche la tête.
C'est au tour de l'homme plus âgé.
Même manoeuvre, même finalité.
Seï Mi Ki, les yeux pleins de larmes, sort un wakizashi à son tour, pose une main sur son ventre, ferme les yeux, puis d'un grand coup sec, enfonce l'arme profondément.

YAAAAAAAAAAAAAAAAAAH!!!

Elle s'écroule...du sang s'écoule de sa bouche...son corps est pris de sursauts...Puis sa respiration se coupe, et ses yeux se figent.
Quelques minutes plus tard, les trois se réveillent, couverts de sang, mais en bonne santé. Seï Mi Ki, le regard flou, prononce quelques mots...

-J'ai...j'ai tué mes enfants...